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Bonne odeur, mauvaise odeur : inné ou acquis ?


Publié & Lecture
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Intention
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Biais
la plupart des travaux disponibles viennent d’Occident et reflètent surtout nos sensibilités culturelles. Certaines conclusions pourraient être différentes dans d’autres contextes (Asie, Afrique, peuples autochtones).
Validité
l’aspect culturel restera intemporel, mais les explications « mécaniques » (neuro-imagerie, gènes de récepteurs olfactifs) risquent d’évoluer avec le temps.


Illustration - Bonne odeur, mauvaise odeur : inné ou acquis ?

Flemme de lire :

Bonne odeur, mauvaise odeur : inné ou acquis ?

J’ai entendu dire que la notion d’odeur « agréable » ou « désagréable » dépend surtout de notre éducation, et pas vraiment d’une réaction physique intrinsèque. En y réfléchissant, c’est vrai que nos propres pets nous semblent souvent plus supportables (voire pas si mal 😏) que ceux des autres. Intriguant, non ? (Je sais, ce n’est pas très glamour comme sujet, mais il faut ce qu’il faut !) Alors, d’où vient cette idée de bonne ou mauvaise odeur : qu’est-ce qui est inné, qu’est-ce qui est acquis ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons que les odeurs provoquent bel et bien des réactions réelles. Certaines peuvent même nous faire réagir au quart de tour : pense aux sels d’ammoniaque qu’on fait respirer à quelqu’un d’évanoui pour le réveiller (mais si on voit ça de temps en temps dans des films ou séries), ou tout simplement à l’arôme du café chaud qui te tire du lit le matin (bon ça vous maitrisez). Pas de doute, une odeur peut déclencher des réflexes physiques et des émotions instantanées. Mais cela suffit-il à dire qu’une odeur est objectivement « bonne » ou « mauvaise » ? Pas si simple : c’est surtout notre cerveau qui fait la différence, en mélangeant nature et culture.

Un flair inné pour le danger

Face à une odeur inconnue, nous avons souvent une réaction quasi instinctive : soit « mmh ça sent bon », soit « beurk, ça pue ». Cette réponse affective est immédiate et se lit sur nos visages. D’où vient-elle ? Les scientifiques s’accordent à dire qu’elle est en partie innée, liée à la fonction protectrice de l’odorat, et en partie acquise par notre environnement social et culturel. La composante innée sert à notre survie : par exemple, un fumet d’œuf pourri ou de viande avariée déclenche presque universellement du dégoût (logique, on ne va pas avoir envie de manger un plat qui pue l’œuf pourri !). En fait, la nature nous a programmés pour éviter d’avaler des aliments potentiellement dangereux, l’odeur nauséabonde d’un plat est rarement une invitation à le déguster. Ainsi, même sans éducation, un humain normal sera spontanément répugné par l’odeur de pourri ou de fumée âcre (danger de feu), ce qui le pousse à fuir ces sources toxiques. Ce réflexe inné se vérifie d’ailleurs : les personnes privées d’odorat (anosmie) ont plus de risques d’intoxication alimentaire, faute de pouvoir « flairer » les aliments avariés avant de les consommer.

Les recherches en neuroscience vont dans le même sens. Une étude a montré que chez la souris, les odeurs plaisantes et déplaisantes n’activent pas les mêmes réseaux de neurones dans le cerveau. Autrement dit, dès la première bouffée, l’information olfactive emprunte un circuit différent selon que l’odeur est évaluée positivement ou négativement par l’animal. Les chercheurs ont même pu inverser la préférence innée : en inhibant artificiellement les neurones « du déplaisir », une odeur normalement répulsive (par exemple de pomme pourrie) devenait soudain attrayante pour la souris, et inversement une odeur de fleur habituellement jugée agréable pouvait la faire fuir (un jour je traiterais le besoin qu’on les scientifiques de faire chier les souris). Cela suggère qu’il existe bien, à la base, un codage neuronal prédéfini qui confère à chaque odeur une certaine valeur hédonique (agréable ou non) avant même que l’expérience n’entre en jeu. En somme, notre odorat aurait un flair inné pour détecter ce qui peut nous nuire ou nous faire du bien, un héritage de l’évolution pour nous garder en vie.

Le poids de l’éducation et de la culture

Si tout était uniquement biologique, on aurait tous les mêmes préférences olfactives. Or ce n’est clairement pas le cas ! Une grande part de nos goûts et dégoûts en matière d’odeurs s’acquiert au fil du temps, via l’éducation, l’expérience et la culture. En fonction du contexte dans lequel on vit, on apprend à aimer ou à détester certaines odeurs. Un exemple célèbre : l’odeur d’un « bon camembert » bien fait. Pour beaucoup de Français, c’est un arôme appétissant ; mais pour une personne d’une culture non familière avec nos fromages, cette odeur peut sembler répulsive au possible. Cela prouve que la valeur qu’on attribue à une odeur est profondément influencée par la culture et l’expérience, et qu’elle est modifiable au cours de la vie.

En effet, nos préférences olfactives peuvent évoluer. On peut apprendre à apprécier une odeur qu’on trouvait désagréable au départ. Inversement, une odeur aimée dans l’enfance peut nous écœurer plus tard suite à une mauvaise expérience. Tout dépend du vécu associé. L’apprentissage des odeurs plaisantes se fait tout au long de la vie, et nos aversions peuvent changer avec l’âge.

Dès le plus jeune âge, on voit l’impact de l’éducation. Par exemple, un bébé ou un tout-petit ne trouve pas spontanément l’odeur de ses propres selles repoussante, pour lui ça ne « sent pas mauvais » jusqu’à ce qu’on le lui apprenne (eh oui, les scatophiles se régalent 🙃). Ce n’est qu’avec le conditionnement social (les parents qui font la grimace, l’apprentissage de la propreté, etc.) que l’enfant intègre que certaines odeurs sont « sales » ou dégoûtantes. Autrement dit, le dégoût pour certaines odeurs s’acquiert. Bon, à part les odeurs vraiment agressives type ammoniac ou putréfaction extrême, là pas besoin de cours pour comprendre que beurk.

Les normes culturelles jouent aussi : on est généralement habitué aux odeurs de sa propre cuisine, de sa maison, de son environnement quotidien, et ce qui est inhabituel paraît plus suspect. Ce fameux contexte influe sur nos perceptions. Ainsi, une épice exotique peut d’abord te sembler avoir une « mauvaise odeur » simplement parce que tu n’y es pas habitué, alors qu’une personne ayant grandi avec en raffolera. Chaque culture a ses parfums appréciés et ses odeurs taboues. Rien qu’en l’espace de quelques siècles, les sensibilités ont changé : ce qui sentait bon au Moyen Âge (le parfum musqué très animal par exemple) pourrait aujourd’hui être jugé entêtant ou désagréable. Bref, beaucoup de choses se jouent dans la tête (et le nez) qu’on nous a façonnés au fil du temps.

Pourquoi on supporte ses propres pets (ou presque)

Revenons à nos fameux pets (ah, enfin voilà le cœur de l’article, pourquoi?!). 😅 Tu as sans doute remarqué que tu tolères nettement mieux tes propres odeurs corporelles que celles des autres. Ce phénomène n’est pas qu’une illusion : il y a plusieurs raisons scientifiques à cela. D’abord, une raison de proximité et de contexte social. On est naturellement moins dégoûté par ceux qui nous sont familiers. Par exemple, les parents changent les couches de leur bébé sans trop sourciller (euh, c’est pas vrai à 100%, nos enfants peuvent parfois avoir un colon inventif), alors que l’odeur du bambin du voisin les incommoderait davantage (100% vrai). Des études ont montré qu’on est bien plus tolérant envers les odeurs même peu ragoûtantes de nos proches (enfants, partenaires intimes, membres de notre groupe) qu’envers celles d’inconnus. En psychologie, le sentiment d’appartenance atténue le dégoût : si l’on perçoit la personne qui sent comme faisant partie de « notre camp », notre cerveau réduit le niveau de répulsion ressenti. On peut y voir un mécanisme évolutif : éviter les odeurs d’étrangers pouvait éviter d’attraper leurs maladies, tandis que tolérer celles de sa tribu facilite la vie en communauté (et soyons honnêtes, c’est bien pratique en couple de ne pas trouver insupportable la moindre odeur de l’autre !).

Il y a aussi la familiarité pure et simple. Ton propre parfum olfactif t’est connu, c’est toi. Du coup, il choque moins ton cerveau qu’une odeur inattendue. Mieux : ton nez s’y habitue. En permanence, ton corps émet des odeurs (par la peau, la respiration, etc.) et ton système olfactif les enregistre en tâche de fond. Au bout d’un moment, il considère que cette odeur “de base” fait partie du décor et ne la signale plus comme une information importante. C’est le phénomène d’adaptation olfactive : l’odeur est toujours là, mais tu ne la sens plus. Notre cerveau filtre ainsi les stimuli olfactifs constants pour ne pas nous submerger, un peu comme un bruit de fond auquel on ne fait plus attention. Tant qu’une odeur est jugée non dangereuse et familière, il va l’ignorer en grande partie. C’est pourquoi on ne sent généralement pas sa propre odeur corporelle, ni même le parfum qu’on porte après quelques minutes (Oui, donc arrêtez de vous parfumer quinze fois par jour dès que vous ne sentez plus votre parfum, merci.). Et pour revenir sur nos vents, ce n’est pas que ton pet a une odeur différente pour ton nez en terme de chimie moléculaire, c’est juste que ton nez l’a rangé dans la catégorie « odeur sans danger » et l’a mise en sourdine. Résultat : tu la perçois moins intensément, et donc elle te dérange moins que si c’était celle du collègue d’à côté en pleine réunion.

Avoue, quand c’est le tien, tu es presque fier d’observer la réaction des autres…

Entre biologie et vécu, le nez fait la part des choses

Au final, la notion de « bonne » ou « mauvaise » odeur n’est pas entièrement inscrite dans les molécules odorantes elles-mêmes, mais pas entièrement relative non plus, c’est un mélange subtil d’inné et d’acquis. D’un côté, nous héritons d’une sensibilité olfactive façonnée par l’évolution : certaines odeurs nous alertent ou nous attirent presque automatiquement (danger ou délice, sucré ou pourri), sans qu’on ait besoin de l’apprendre. De l’autre, notre éducation sensorielle et notre culture modulent fortement ces perceptions initiales : elles peuvent les renforcer, les atténuer, voire les inverser avec le temps Chaque nez humain est ainsi le produit de sa biologie et de son vécu.

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