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Qui a créé internet?


Publié & Lecture
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Intention
Montrer qu’Internet est une invention collective issue de contributions internationales.
Biais
les biais de l'histoire 😁
Validité


Illustration - Qui a créé internet?

Flemme de lire :



L’épopée de la création d’Internet

Il était une fois un réseau mondial que tout le monde utilise, et dont beaucoup de pays aiment clamer la paternité. Eh oui, tu as sans doute entendu des histoires du genre « X a inventé Internet » les Américains, les Français, les Britanniques… tous voudraient être le papa de notre cher Internet. La vérité, c’est que l’Internet est le fruit d’une aventure collective passionnante, qui s’étale sur plusieurs décennies et implique une foule de brillants esprits à travers le monde. Installe-toi confortablement, car je t’embarque dans une histoire vraie digne d’un roman d’espionnage (avec moins de martinis et plus de câbles, mais tout aussi palpitante) : la naissance d’Internet.

Aux origines : des visions et des idées folles (années 1960)

Notre histoire commence dans les années 60, en pleine Guerre froide. À cette époque, les ordinateurs sont de gigantesques machines isolées. Quelques visionnaires imaginent déjà de les faire communiquer à distance. L’un d’eux, J.C.R. Licklider, alors au département de la Défense américain, rêve dès 1962 d’un réseau global qu’il surnomme carrément « Intergalactic Computer Network » (rien que ça !). Dans sa tête, c’est un réseau planétaire (voire interplanétaire) de partage de l’information, un truc de science-fiction pour l’époque.

Pendant ce temps, le Pentagone s’inquiète : et si une attaque nucléaire détruisait les moyens de communication traditionnels ? Pas question de perdre le réseau téléphonique en cas de crise ! Un ingénieur du nom de Paul Baran, à la RAND Corporation, planche en 1964 sur un concept de réseau décentralisé capable de survivre à une guerre nucléaire. Son idée clé : découper les messages en petits paquets qui pourraient emprunter différentes routes dans un réseau maillé, comme des bouteilles à la mer, mais dans des câbles. Baran appelle ces fragments des “message blocks”. Son concept restera sur papier à l’époque, mais il a semé une graine.

Et il n’est pas le seul à avoir la main verte : de l’autre côté de l’Atlantique, au Royaume-Uni, un scientifique du National Physical Laboratory nommé Donald Davies a une idée similaire, sans même connaître les travaux de Baran. En 1965, Davies conçoit le principe de commutation par paquets (c’est lui qui invente le terme “packet switching”). Son réseau idéal transmettrait des petits paquets de données, chacun acheminé indépendamment, pour optimiser le débit et éviter les pannes en cascade. Davies pousse même l’audace jusqu’à imaginer que les ordinateurs aux extrémités du réseau gèrent eux-mêmes la fiabilité des transmissions en contrôlant les erreurs (ce qu’on appellera plus tard le principe de bout-en-bout). En clair, il propose que l’intelligence du réseau soit aux extrémités plutôt qu’au centre, une idée révolutionnaire qui fera son chemin plus tard.

Davies commence à construire un réseau expérimental au NPL dès 1968. Bingo : début 1969, son mini-réseau marche et envoie ses premiers paquets, prouvant que la commutation par paquets n’est pas qu’une théorie. À vrai dire, c’est même la première implémentation opérationnelle d’un réseau à paquets au monde, juste avant un certain autre réseau dont on va parler. Beaucoup d’autres projets de réseaux dans les années 1970 copieront presque à l’identique le design imaginé par Davies en 1965. Pas mal pour quelqu’un dont le projet initial de réseau national n’avait pas été financé par le gouvernement britannique ! (Les autorités, un brin frileuses, n’avaient pas saisi tout de suite le potentiel commercial de son idée.)

Ainsi, dès la fin des années 60, les bases technologiques d’Internet sont posées : des scientifiques américains et britanniques, sans se connaître au départ, ont eu l’intuition qu’on pouvait faire communiquer des ordinateurs en fragmentant les données en paquets. Ces graines d’idée n’attendaient plus qu’un terreau fertile pour germer en un réseau grandeur nature. Et ce terreau, ce sera un projet financé par l’armée américaine…

ARPANET : le réseau pionnier américain (fin des années 1960)

Direction la Californie, 1969. Aux États-Unis, la DARPA (Agence pour les projets de recherche avancée de défense), qu’on appelait ARPA à l’époque, décide de relier entre eux les ordinateurs de plusieurs universités et centres de recherche. L’objectif est double : permettre le partage de ressources informatiques coûteuses et créer un réseau de communication résistant aux pannes. Un certain Robert Taylor, visionnaire à l’ARPA, pousse le projet en s’exclamant en 1966 : « J’en ai marre d’avoir trois terminaux différents pour parler à trois ordis différents, il me faut un seul terminal qui aille partout ! ». Son idée est la graine de l’ARPANET.

L’ARPANET devient réalité le 29 octobre 1969 : ce soir-là, à 22h30, une première liaison est établie entre l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et le Stanford Research Institute (SRI) en Californie. C’est la naissance d’ARPANET, le tout premier réseau à commutation de paquets à grande échelle. La première tentative d’envoi de message restera légendaire : le jeune étudiant Charley Kline à UCLA tente de se connecter sur l’ordinateur du SRI en tapant le mot “LOGIN”. Il tape “L”, puis “O”, et là, crash du système après ces deux lettres ! (Pas de bol… mais on a ainsi pu plaisanter plus tard que le premier message sur Internet fut “LO”, comme “lo and behold” ou un “hello” timide 😉). En tout cas, on a confirmé par téléphone que “L” et “O” étaient bien reçus de l’autre côté. Deux petites lettres pour un bond de géant : « Yet a revolution had begun », dira plus tard Leonard Kleinrock, l’un des pères du projet.

Malgré ce démarrage en fanfare (ou en bug), ARPANET s’étend rapidement. En décembre 1969, on compte déjà 4 nœuds interconnectés, UCLA, SRI, l’Université de Santa Barbara et l’Université de Utah. Pour la première fois, des ordinateurs situés à plusieurs centaines de kilomètres peuvent échanger des données en temps quasi-réel. Au début des années 1970, le réseau s’agrandit encore, connectant des universités à travers les États-Unis. Les chercheurs branchés sur ARPANET inventent au passage de nouveaux outils révolutionnaires : le courrier électronique par exemple, imaginé en 1971 par Ray Tomlinson (c’est lui qui a eu l’idée d’utiliser le signe @ dans les adresses). L’email devient vite l’application vedette du réseau, le fameux “killer app” qui donne aux gens une raison incontournable d’utiliser ce nouvel outil de communication.

ARPANET est financé par le Département de la Défense, mais il est utilisé surtout par des universitaires barbus en sandales (si, si). Un joyeux mélange de culture geek et de fonds militaires ! Le Pentagone voit dans ce réseau un moyen d’expérimenter une communication robuste, tandis que les étudiants y voient un moyen d’échanger plus facilement des idées (et accessoirement des blagues en ASCII). Dès 1972, lors d’une conférence publique à Washington, les inventeurs d’ARPANET font une démonstration du réseau : on y échange du courrier électronique en direct et on joue même à la guerre navale via ordinateur, impressionnant pour l’époque. Petite anecdote : c’est à cette occasion que l’arobase (@) de Tomlinson a été révélée au monde, symbole d’un nouveau mode de correspondance.

Les contributions internationales : quand plusieurs routes mènent au réseau

Pendant qu’ARPANET tisse sa toile aux États-Unis, d’autres pays ne sont pas en reste et développent leurs propres réseaux expérimentaux, parfois en avance sur certains aspects. Ces initiatives parallèles expliquent pourquoi aujourd’hui chacun aime revendiquer sa part dans l’invention d’Internet. Faisons un petit détour par la France et le Royaume-Uni dans les années 1970, tu vas voir, c’est crucial pour la suite.

Le Royaume-Uni et le réseau NPL

On a déjà croisé Donald Davies et son réseau de recherche au NPL un peu plus haut. Après son succès local en 1969, Davies continue ses travaux. En 1973, la seconde version de son réseau NPL fonctionne avec une architecture en couches (un concept très moderne qui préfigure celui des protocoles Internet). Le NPL connecte des dizaines d’ordinateurs et de terminaux, et l’équipe britannique explore des idées pionnières : les datagrammes, le contrôle de congestion, la sécurité… oui, oui, tout ça dans les années 70. Il faut s’imaginer que Davies et ses collègues planchent déjà sur des problématiques qu’on retrouvera plus tard dans Internet. D’ailleurs, lors d’une conférence en 1967, Davies (via son collègue Roger Scantlebury) avait présenté ses idées aux Américains de l’ARPANET, ce qui les a convaincus d’adopter la commutation par paquets dans le design final d’ARPANET en augmentant la vitesse de ligne de 2,4 kb/s à 50 kb/s. Autrement dit, les Britanniques ont clairement influencé la recette américaine 😉.

La France et le projet CYCLADES

Au pays de Molière aussi, on a joué un rôle inattendu dans la saga d’Internet. En 1972, un ingénieur français du nom de Louis Pouzin lance, avec le soutien de l’IRIA (ancêtre d’Inria), un projet de réseau à paquets nommé CYCLADES. L’idée de Pouzin est ambitieuse : il veut construire un réseau plus simple qu’ARPANET, en s’inspirant de ses atouts mais en évitant ses défauts. Dès 1973, CYCLADES est démontré pour la première fois avec quelques ordinateurs connectés. Ce réseau français introduit une innovation majeure : il est conçu dès le départ autour du principe de datagramme pur. Concrètement, les ordinateurs (“hosts”) en bout de chaîne sont responsables de la fiabilité : le réseau, lui, se contente d’acheminer des paquets sans garantie et n’assure ni retransmission ni ordre, c’est aux machines aux extrémités de se débrouiller pour détecter les pertes et réordonner les données. Si ça te rappelle quelque chose, tu as raison : c’est exactement le modèle qu’adoptera plus tard l’Internet ! CYCLADES est ainsi le premier réseau à implémenter le principe de bout-en-bout (proposé par Davies) en utilisant des datagrammes non fiables.

Pourquoi diable faire ça ? Parce que Pouzin sait qu’en Europe, les télécommunications sont contrôlées par des monopoles d’État (les PTT). Il anticipe qu’il sera impossible de bricoler le réseau téléphonique public autant que les Américains l’ont fait avec AT&T pour ARPANET. Son choix technique évite de dépendre d’équipements complexes au cœur du réseau (contrôlés par les PTT) et donne toute l’intelligence aux ordinateurs connectés. Malin le Louis 😎. CYCLADES influence directement l’architecture de l’Internet : les idées testées par Pouzin et son équipe (le datagramme, l’end-to-end) inspireront les concepteurs de TCP/IP quelques années plus tard. D’ailleurs, un chercheur français nommé Gérard Le Lann travaillera aux côtés de Vint Cerf et Bob Kahn aux États-Unis, pour intégrer certains concepts de CYCLADES dans le protocole TCP naissant. Quand on te dit que c’est une œuvre collective !

CYCLADES atteint une vingtaine de nœuds interconnectés dans la seconde moitié des années 70, avec des liaisons vers Londres (NPL) et Rome notamment. Hélas, malgré ses succès techniques, le projet se heurte à la politique : en France, les PTT préparent leur propre réseau public basé sur une autre technologie (le Transpac à commutation de circuits virtuels, conforme au standard X.25 naissant). Pour faire simple, le ministère des Télécoms de l’époque ne voit pas d’un bon œil un réseau “concurrent” expérimental qui pourrait faire de l’ombre à son Transpac tout neuf. Résultat, le financement de CYCLADES est coupé en 1975, et le réseau français doit s’éteindre progressivement, jusqu’à sa fermeture définitive en 1981. Une fin un peu triste pour CYCLADES, mais son héritage est immense : il a montré qu’un réseau minimaliste, laissant la complexité aux extrémités, pouvait très bien fonctionner. Cette philosophie deviendra le cœur de l’Internet. Pouzin, quant à lui, est aujourd’hui reconnu comme l’un des “pères” d’Internet aux côtés de Cerf, Kahn, Davies et Baran, chacun ayant apporté sa brique.

En résumé, États-Unis, Royaume-Uni, France (et on pourrait citer aussi le Canada, où s’établit en 1973 le premier nœud hors USA d’ARPANET, ou encore le Japon, etc.), plusieurs pays travaillent en parallèle et s’influencent mutuellement dans ces années-là. Internet n’a pas un seul berceau, mais plusieurs laboratoires autour du globe où germent des idées novatrices. Cette effervescence va converger vers un grand chantier commun : interconnecter tous ces réseaux disparates. On change d’échelle : on passe du réseau à l’internetwork.

L’invention de l’Internet (années 1970) : un réseau de réseaux

Au début des années 70, on se retrouve avec plusieurs réseaux de paquets : ARPANET aux USA, CYCLADES en France, le réseau NPL en Angleterre, sans parler d’autres comme le réseau Merit dans le Michigan, Tymnet, Telenet (premier réseau commercial américain en 1974), etc. Chacun a ses protocoles, ses règles. C’est bien joli tout ça, mais comment faire pour que tout ce petit monde communique ensemble un jour ? 🤔

En 1973, Bob Kahn (de l’ARPA) et Vint Cerf (professeur à Stanford à l’époque) s’attellent à un problème de taille : connecter un réseau à un autre réseau, voire plusieurs, même s’ils sont très différents. Kahn avait été impressionné par la démonstration de CYCLADES et par les travaux de Davies, il sait que l’avenir, c’est un réseau de réseaux où aucune entité centrale ne contrôle tout. Cerf et Kahn conçoivent alors un langage commun qui pourrait faire dialoguer n’importe quel réseau avec n’importe quel autre. Ils l’appellent dans un premier temps le Transmission Control Program.

En 1974, Cerf et Kahn publient les spécifications de ce nouveau protocole. L’idée clé, c’est de cacher les différences entre réseaux locaux en introduisant un protocole d’internetworking universel. Plutôt que de demander aux réseaux eux-mêmes de gérer la fiabilité de bout en bout (comme c’était le cas dans l’ARPANET originel avec son protocole NCP), on suit le modèle de CYCLADES : le réseau intermédiaire transmet au mieux des paquets (qu’on appelle désormais datagrammes IP), et les ordinateurs aux extrémités se chargent de vérifier l’arrivée et la bonne reconstitution des données (c’est le rôle de TCP au-dessus). Ainsi naît la suite de protocoles TCP/IP, même si elle ne portera officiellement ce nom qu’un peu plus tard.

Une première démonstration à grand spectacle a lieu le 22 novembre 1977 : ce jour-là, l’équipe de Cerf connecte ensemble trois réseaux très différents, l’ARPANET filaire, un réseau radio par paquet (depuis un van équipé d’une antenne, roulant dans la Bay Area) et un réseau satellite reliant les États-Unis à l’Europe. Le test est un succès : un message parti du van sans fil en Californie traverse l’ARPANET, saute sur le satellite vers un nœud en Angleterre (UCL à Londres), puis revient aux USA, en empruntant différents réseaux pilotés par le nouveau protocole commun. L’Internet (au sens d’interconnexion de réseaux) vient de faire ses preuves.

À partir de là, tout s’enchaîne : on améliore le protocole (en séparant TCP et IP en deux couches distinctes vers 1978), on le teste sur de plus en plus de machines… et on prépare la grande migration. Le 1er janvier 1983, ARPANET, qui jusque-là utilisait son protocole maison NCP, bascule entièrement sur TCP/IP. Ce “jour du drapeau” marque symboliquement la naissance officielle de l’Internet tel qu’on le connaît, puisque désormais tous les réseaux qui adoptent TCP/IP peuvent se joindre entre eux, formant un réseau des réseaux unique. À la même date, l’ARPANET se scinde en deux : une partie MILNET pour un usage militaire (sécurisé à part), et le reste pour la recherche civile. Mais on peut dire qu’en 1983, il n’y a plus de différence entre l’ARPANET et l’Internet : c’est le même réseau, juste étendu et basé sur de nouvelles règles communes.

D’autres briques essentielles sont posées dans ces années-là : le système des noms de domaine (DNS) est introduit en 1983 pour remplacer les adresses numériques par des noms plus parlants (.com, .fr, .edu, etc.). Des organismes coopératifs se mettent en place pour gérer tout ça : l’IAB (Internet Activities Board) dès 1979, l’IETF (Internet Engineering Task Force) en 1986 pour standardiser les évolutions techniques. On assiste aussi en coulisses à une sorte de “guerre des standards” : les Européens, les Français en particulier, ayant enterré CYCLADES, misent dans les années 80 sur un autre modèle de réseau, plus bureaucratique, appelé l’OSI (Open Systems Interconnection). Un beau modèle théorique en 7 couches… qui met du temps à sortir des cartons, pendant que l’Internet TCP/IP, lui, se déploie déjà partout parce qu’il marche tout simplement. Ce duel OSI vs. Internet aura fait couler de l’encre et englouti pas mal d’argent en Europe, pour au final voir la victoire de TCP/IP à la fin des années 80. Comme le dira plus tard un expert français : “le détour coûteux par l’OSI” aura au moins eu le mérite de sensibiliser du monde à l’importance des réseaux, mais c’est bien l’Internet venu des USA qui va l’emporter.

L’Internet s’étend et change de visage (années 1980)

Après 1983, l’Internet n’est plus un projet de labo, c’est une infrastructure en plein essor. Aux États-Unis, la DARPA passe le flambeau à la National Science Foundation (NSF), qui construit dès 1985 un nouveau backbone (réseau central) ultra-rapide reliant des centres de recherche : c’est le réseau NSFNET. À l’origine, NSFNET est à 56 kb/s, puis on le booste à T1 (1,5 Mb/s) en 1988, puis T3 (45 Mb/s) en 1991, de quoi faire rêver les modems 56k qui équiperont plus tard nos maisons 😉. ARPANET, le réseau pionnier, est quant à lui décommissionné en 1990, ses missions étant remplies et dépassées par de nouveaux réseaux plus modernes. Un symbole fort : le bébé a grandi, on peut éteindre la vieille veilleuse.

L’Europe, pendant ce temps, rattrape son retard : au milieu des années 80, des réseaux académiques nationaux adoptent TCP/IP et se connectent à l’Internet naissant. Par exemple, la Norvège et l’Angleterre étaient reliées à l’ARPANET depuis 1973 déjà, mais dans les années 80 de nombreux autres pays rejoignent la toile. En France, paradoxalement, on a une longueur de retard à cause du succès du Minitel (le service en ligne sur le réseau téléphonique, lancé en 1982) qui rend les autorités moins pressées d’aller vers Internet. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que des universités françaises commencent à se lier à Internet, grâce notamment aux serveurs Unix et TCP/IP fournis dans BSD (un Unix académique). En 1989, l’Europe crée même son propre “backbone” académique, EUnet, pour interconnecter les centres de recherche du continent en TCP/IP. Bref, la mayonnaise prend à l’échelle planétaire : l’Internet est en train de devenir un réseau global.

Un tournant majeur se produit à la fin des années 80 : Internet sort des campus pour entrer dans la société civile. En 1989, aux États-Unis, la première entreprise à offrir au grand public un accès dial-up à Internet apparaît (c’est un petit FAI appelé “The World”). La même année, la NSF commence à autoriser un peu de trafic commercial sur son réseau, timidement. Et surtout, un génie britannique du nom de Tim Berners-Lee, travaillant au CERN (un laboratoire européen en Suisse), invente un truc qui va rendre Internet indispensable pour Monsieur Tout-le-Monde : le World Wide Web.

Petite histoire dans la grande : en mars 1989, Tim Berners-Lee propose un projet un peu fou à son patron au CERN, intitulé “Information Management: A Proposal”. L’idée : utiliser l’infrastructure Internet existante pour partager facilement de l’information via des pages hypertexte liées entre elles, consultables avec un simple programme appelé navigateur. En un mot, il invente le Web, le concept de sites web reliés par des liens hypertextes. Avec l’aide de son collègue belge Robert Cailliau, Berners-Lee code le premier serveur web et le premier navigateur en 1990. La première page web de l’histoire voit le jour sur son ordinateur NeXT au CERN. Durant les deux premières années, le Web reste un joujou d’universitaires, mais le 30 avril 1993, le CERN libère le Web dans le domaine public, sans brevet ni royalties. Ce geste ouvre la voie à une adoption massive : quelques mois plus tard, aux États-Unis, un jeune étudiant nommé Marc Andreessen publie Mosaic, le premier navigateur web grand public (ancêtre de Netscape). C’est le début de la ruée vers le Web.

L’Internet conquis le grand public (années 1990)

À partir de 1993-1994, l’Internet connaît une croissance exponentielle, propulsé par le Web et la libre commercialisation. Souviens-toi, jusque-là Internet était surtout l’affaire des universités, des gouvernements et de quelques geeks éclairés. Mais dans les années 90, Internet débarque dans les foyers. On voit apparaître les premiers fournisseurs d’accès grand public (AOL, CompuServe, puis les FAI locaux), les modems 56k chantent leur ritournelle électronique sur les lignes téléphoniques (tu te rappelles du “criii-crrrr-diiiing-diiiing” strident ? quelle douce musique pour qui attendait impatiemment de se connecter 😅). Les entreprises investissent le réseau, les médias commencent à en parler, bref, Internet devient mainstream.

Les chiffres donnent le vertige : en 1993, Internet ne représentait que 1% du trafic d’informations télécoms dans le monde ; en l’an 2000, il en transporte plus de 50%. En sept petites années, c’est passé de quasi-rien à la majorité, du jamais vu en termes d’adoption technologique. Ce qui était un réseau de scientifiques est devenu le réseau de tout le monde. En 1995, un événement symbolique marque cette transition : la dorsale Internet du NSF (NSFNET) est fermée le 30 avril 1995, et on laisse désormais le soin aux opérateurs privés (Sprint, MCI, AT&T, etc.) d’acheminer le trafic. Internet est officiellement un réseau public/commercial mondial, plus seulement un projet piloté par des agences gouvernementales. On assiste à l’émergence de l’industrie Internet.

Socialement et culturellement, les années 90 voient Internet bouleverser nos habitudes : l’email supplante le fax et même le téléphone pour beaucoup de communications, les premiers forums et chats mettent en relation des inconnus à travers la planète, des sites web personnels apparaissent à la pelle (avec des GIF animés moches et des fonds flashy, c’était kitsch, mais on adorait. Qui a dit comme pour ici?!!). On parle de “village planétaire”, la jeunesse découvre qu’Altavista (l’ancêtre de Google) peut répondre à toutes sortes de questions, bref une nouvelle ère de l’information commence. Les gouvernements, eux, réalisent que ce bidule né dans les labos a d’immenses implications économiques et politiques : Al Gore popularise le terme “Information Superhighway” (autoroute de l’information) pour décrire l’avenir radieux qu’Internet promet aux États-Unis.

Bien sûr, tout n’est pas rose : qui dit liberté d’Internet dit aussi premières tentatives de régulation et de censure. Dans les années 90, on débat de la pornographie en ligne, de la cryptographie, de la sécurité des données. Certains pays commencent à filtrer l’accès (par exemple, la Chine pose les bases de son Grand Firewall vers la fin des 90s). Mais une chose est sûre : Internet est devenu incontournable. Tellement incontournable que la gouvernance du réseau elle-même devient un enjeu international : en 1998, les États-Unis créent l’ICANN, un organisme indépendant pour gérer les noms de domaine et les adresses IP, afin d’internationaliser un peu le contrôle de l’Internet qui jusque-là était très américain. Cette évolution “politique” de l’Internet, d’un projet militaire US à une infrastructure gérée par une communauté globale – est un fait marquant des années 90. L’Internet appartient à tout le monde et à personne en particulier, ce qui fait aussi sa force et ses défis.

Une invention, plusieurs inventeurs : un héritage commun

Alors au final, qui a “inventé” Internet ? Tu commences à voir qu’on ne peut pas attribuer la médaille à un seul pays ou une seule personne. C’est un peu comme demander qui a inventé la voiture : il y a l’inventeur du moteur, celui du pneu, celui de la carrosserie… Pour Internet, on peut retenir une galerie de brillants inventeurs répartis dans plusieurs pays, chacun ayant apporté une pièce du puzzle :

  • Les États-Unis via l’ARPANET, ont financé et coordonné le premier grand réseau à paquets et donné naissance à TCP/IP. Des noms comme Leonard Kleinrock, Larry Roberts, Bob Kahn, Vint Cerf, Steve Crocker, Jon Postel et bien d’autres sont les architectes clés du réseau. Sans l’initiative et les dollars de l’ARPA, rien de tout cela ne serait arrivé aussi vite.

  • Le Royaume-Uni avec Donald Davies au NPL, a inventé la commutation par paquets indépendamment et prouvé son faisable dès 1968-69. Davies a aussi formulé le principe de bout-en-bout qui guide toute l’architecture Internet. Les Britanniques ont ainsi influencé directement le design d’ARPANET en 1967.

  • La France avec Louis Pouzin et le projet Cyclades, a démontré l’efficacité d’un réseau tout en datagrammes, simplifié, qui a inspiré la conception de TCP/IP. Des Français comme Pouzin, Gérard Le Lann ou Hubert Zimmermann (père du modèle OSI, autre héritage français) font partie des pionniers souvent cités par Cerf et Kahn comme ayant pavé la voie.

  • La contribution globale Internet a aussi bénéficié d’autres apports : les chercheurs norvégiens et britanniques qui ont connecté ARPANET outre-Atlantique en 1973, les Canadiens et Japonais qui ont très tôt adopté TCP/IP, les ingénieurs du monde entier qui ont construit les réseaux nationaux dans les années 80, etc. Et n’oublions pas que le Web, qui a rendu Internet si populaire, est une invention européenne (merci Sir Tim Berners-Lee et son collègue Robert Cailliau) née au CERN en 1989. C’est l’illustration que l’innovation Internet s’est vite mondialisée.

En somme, Internet est une œuvre collective internationale. Il n’y a pas un brevet magique déposé par un seul génie isolé dans son garage. C’est plutôt l’histoire d’une rencontre d’idées : la vision d’un réseau global (Licklider), la technologie de la commutation par paquets (Baran, Davies), l’audace de réaliser un réseau réel (Roberts, l’ARPA), l’intelligence d’en faire un système ouvert et extensible (Cerf, Kahn, et tous leurs collaborateurs), et même la touche finale qui le rend sexy pour le grand public (Berners-Lee et le Web). Chaque pays peut être fier de son chapitre dans l’aventure Internet, mais aucun ne peut prétendre avoir écrit le livre tout seul.

Et quelle aventure ! Partis de quelques ordinateurs énormes envoyant des “LO” hésitants, nous voilà un demi-siècle plus tard avec plus de 5 milliards d’êtres humains connectés, échangeant instantanément des messages, de la vidéo, de la culture, (et des mèmes de chats) aux quatre coins du monde. Internet a évolué bien au-delà de ce qu’avaient imaginé ses créateurs, devenant une infrastructure vitale de l’économie et de la société moderne. Pas mal pour un projet né en pleine paranoïa de la Guerre froide et nourri par la coopération internationale, tu ne trouves pas ?

Alors la prochaine fois que tu entendras quelqu’un dire « X a inventé Internet », tu pourras sourire en pensant à cette épopée. Internet a plusieurs pères et mères, et c’est très bien ainsi. Sans cette collaboration à travers les frontières, on n’aurait peut-être jamais eu notre Internet chéri tel qu’on le connaît. Et maintenant que tu connais son histoire, tu peux te la raconter comme un bon roman factuel, mais passionnant, en n’oubliant jamais que la réalité dépasse parfois la fiction. 😉

📚 SOURCES & RÉFÉRENCES